Connaissez-vous Fairfield Osborn ?

Il y a environ dix-huit mois, un matin comme ce lundi 4 février, coup de téléphone. Pierre Rabhi. Certains d’entre vous connaissent sûrement ce paysan-philosophe, ce penseur écologiste. J’entretiens avec lui ce qui ressemble beaucoup à une relation d’amitié.

Rabhi, donc. Qui me signale un livre dont je n’ai jamais entendu parler : La planète au pillage, de Fairfield Osborn, lui-même parfait inconnu. Traduit de l’américain, publié chez Payot en 1949, il est entièrement consacré à la crise écologique mondiale. Hum. Intrigué, je commande le livre, bien entendu difficile à trouver. Un libraire d’Amiens me le déniche et me l’envoie.

Et je tombe à la renverse. Car le livre d’Osborn est un chef d’oeuvre. Écrit à la sortie de la guerre, alors que déferle l’industrialisation du monde, et les illusions qui l’accompagnent, il dit ce qui va vraiment se passer. Osborn, qui est un grand scientifique, président de Société zoologique de New York, livre une admirable synthèse de la situation mondiale.

Comme il n’est pas du genre à reculer devant la difficulté, il prend l’histoire de l’homme et de ses épopées à bras le corps : avant-hier, hier, aujourd’hui et même demain. Avec des développements régionaux concernant l’Asie, la Russie, l’Amérique, l’Europe alors exsangue, etc.

Il ne fait aucun doute à ses yeux que la situation réelle, donc écologique, de la planète, est grave. Pour des raisons qui sont aujourd’hui (presque) évidentes, mais qui ne l’étaient pas, Dieu sait, en 1948. L’appauvrissement continu des sols, la disparition des forêts, la folle poussée démographique, le mortel appétit de profit. Il comprend et il écrit que l’humanité est devenue une force géologique, capable donc d’agir à l’échelle géante du temps le plus long.

Sur ce dernier point, je dois avouer que je croyais cette vision bien plus récente. J’étais même naïvement convaincu qu’elle datait d’un article retentissant du prix Nobel de chimie Paul Crutzen (1995), paru en 2000. Crutzen avait forgé un néologisme parfait pour décrire ce phénomène inouï d’un changement géologique provoqué par l’homme : « l’ère anthropocène ». Eh bien, Osborn est bel et bien le père de cette notion fondamentale. Probablement y en a-t-il d’autres, d’ailleurs.

Un chef d’oeuvre, donc. Et ce matin, 4 février 2008, nouveau coup de fil de Pierre Rabhi, qui m’annonce une nouvelle excellente : sur ses conseils, Actes Sud va republier en mai prochain le livre d’Osborn. Inutile de dire que j’en suis profondément heureux. Mais bien sûr, tout cela fait réfléchir.

Pourquoi Osborn a-t-il été à ce point oublié ? Je sais que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Et nous sommes, nous les écologistes, les grands vaincus du siècle passé, passé autant qu’aveugle. Mais à ce point ? Je traîne dans la tête depuis l’adolescence une phrase venant de je ne sais plus quel auteur : « Quand elle fut dite, la grande vérité, on s’aperçut qu’il n’y avait pas d’oreille pour l’entendre ».

Une dernière chose, qui dynamite les pauvres discours dont l’ordre en place nous abreuve chaque jour ou presque. L’écologie est aussi, aussi, une science. Un savoir rigoureux, patient, complexe qui aura démontré, pour qui sait encore lire, que nous incarnons, à côté de tant d’autres choses, la rationalité. Je crois qu’il ne faut surtout pas laisser ce mot aux falsificateurs de la scène médiatique et politique. Ceux qui prétendent qu’on peut continuer de la sorte ne sont pas seulement des barbares. Pas seulement de sordides épiciers. Pas seulement des adorateurs du laid. Ils sont en outre des dévôts de la magie, des cartomanciens de troisième ordre, des spirites de bas étage. À eux l’irrationalité ! À nous la clairvoyance !

12 réflexions sur « Connaissez-vous Fairfield Osborn ? »

  1. Tu as gagné la source de ta citation, c’est le poète Norge (1898-1990) qui a écrit (il y a une petite différence) « Le jour où la grande vérité fut dite, on s’aperçut qu’il n’y avait pas d’oreille pour l’entendre ».

  2. ce livre, une vraie bonne nouvelle!
    Une citation, plus conuue, que j’aime beaucoup aussi : « Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas »
    Prophétie d’un Indien Cree
    Je ne sais pas de quand elle date.

  3. d’après les indiens, nous sommes dans l’ère du kaly-yuga, l’ère du crépuscule , celle où le sage est persécuté et des fausses doctrines, suivies.

  4. Et depuis quand, cette ère du crépuscule ? Il me semble que ça fait déjà un bail, non ?
    Par ailleurs, entièrement d’accord avec le dernier paragraphe du texte de Fabrice.

  5. cette ère est aussi caractérisée par une accélération de processus .ce n’est pas la descrition d’une apocalypse, mais plutôt de la fin d’un cycle . Bien-sûr, n’y voyez aucune croyance de ma part, je trouve le parallèle entre différents textes du monde entier et ce qui se passe aujourd’hui assez troublant, en tout cas, à méditer . Ce texte date de 600 ans avant notre ère . J’y fais référence car Fabrice parle de la formidable intuition d’Osborn , certes plus précise , et de l’esprit scientifique de ce dernier . mais certains semblent avoir toujours préssenti précisement que des aspects de notre nature pouvaient nous conduire droit dans le mur .

  6. « Ceux qui prétendent qu’on peut continuer de la sorte ne sont pas seulement des barbares. Pas seulement de sordides épiciers. Pas seulement des adorateurs du laid. Ils sont en outre des dévôts de la magie, des cartomanciens de troisième ordre, des spirites de bas étage »
    Au cas ou en plus ils ne comprendraient pas bien ce que vous dites: DES CONS

  7. en fait je réfléchissais à la citation : « quand elle fut dite la grande vérité, on s’apperçut qu’il n’y avait pas d’oreille pour l’entendre « .
    Sinon, est-cequ’un scientifique à travailler sur les conséquences à venir de la robotique et des nantechnologies ? Ca m’interesse . En Corée, on parle déjà de droit des robots à ce que l’on ne leur fasse pas de mal, alors que d’autres délirent sur des mariages futurs entre humain et robot . Au japon, des animaux familiers , et aimés sont des robots parfaitement hygiéniques et prévisibles . Quelle place reste-t-il à la nature dans cette perception environnementale ? Pour moi, les problèmes à venir concernent la totale appropriation du vivant actuellement mise en oeuvre, et ce que je vient de citer . Va-t-on vers deux type d’humains carricaturaux comme dans le meilleur des mondes , ou farenheit 451 ou la stratégie Ender ?
    la fiction, l’intuition rejoignent-elles sur ces points l’esprit scientifique ?

  8. Bonjour, mon frère m’a dirigée ici pour voir la critique du livre. J’ai lu vos commentaires et je voulais juste demander à Bénédicte:

    « bon en avant » vers quoi?
    « Les Lumières » c’est un concept bien « trouble » malgré son nom.

    Nombres de « Lumières » étaient esclavagistes et racistes, et ont donc eu leur part dans les débuts de la mondialisation sous la forme du trafic transatlantique… dont on voit la continuation aujourd’hui, dans l’ultra-libéralisme.

    Et dans les début de l’industrialisation. Est-ce ce la que vous évoquiez? Ou quelque chose de plus « positif » (on a presque peur d’utiliser cet adjectif par les temps qui courent…)

    Céc

  9. @ céc, un bon en avant vers la situation désastreuse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, je pensais etre claire là-dessus…

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