Quand monsieur Le Boucher avoue qu’il ne sait rien

Il y a des jours où plus rien ne passe. Mais rien. Comme ce samedi 12 avril, où je découvre dans le quotidien Le Monde la chronique hebdomadaire d’Éric Le Boucher. Inutile d’en rajouter, inutile. Ce libéral convaincu ose aborder l’infernale question de la crise alimentaire mondiale. Et du coup, car l’homme est sérieux – si, sérieux -, celle de l’agriculture. Et même, chemin faisant, l’écologie.

Or, il est ignorant. Gravement, irrémédiablement. Les sujets qu’il évoque l’ennuient, et ne l’ont jamais poussé à lire le moindre ouvrage sérieux à eux consacré. Je n’en ai pas la moindre preuve, non. Mais je sais lire, oui. Le Boucher parle de la faim comme d’une variable dans des calculs qui resteront de salon. Et le pire n’est pas là, bien que cela soit déjà affreux.

Le pire est sa suffisance. Première citation : « Sur le moyen terme, la terre, généreuse nourricière, est capable de doubler ses productions pour alimenter les 9 milliards d’êtres humains de 2050. Mais les clés sont l’investissement, la science, la génétique ». Ces deux phrases sont si absurdes qu’elles me tordent l’estomac : elles expriment, en concentré, ce que veulent croire les maîtres du monde. La crise des sols – dont leur érosion massive -, celle de l’eau, la poussée des déserts, le dérèglement climatique, l’augmentation du nombre des humains, l’affaissement prévisible d’écosystèmes géants n’existent plus et n’ont même jamais existé. Car Le Boucher l’écrit. Car il le croit, et avec lui la quasi-totalité des élites du Nord, qui y ont tant intérêt.

Deuxième citation : « Demain, il faut continuer de transformer les enfants de paysans en ouvriers des villes, mais aussi les transformer sur place en agriculteurs-entrepreneurs. Il faut remembrer, introduire la technologie, moderniser tous les circuits de financement et de distribution ». Faut-il réellement commenter un tel monument ? Remembrer, moderniser, changer les paysans en ouvriers. Pauvre monsieur. Nous l’avons déjà fait, savez-vous ?

Pauvre monsieur, mais écrivant dans le grand journal français. Incapable de nous parler de l’état réel du monde, la presse se perd dans le détail, les chimères et autres plumes d’oiseau. Vendue une fois de plus  – comme dans les années trente du siècle passé, peut-être en pire – à l’intérêt privé, acceptant sans broncher que la publicité paie les factures et les vacances à la neige des familles méritantes de journalistes, la presse ne sert plus la cause publique de l’avenir. Ne cherchez pas, ne croyez pas à l’exception. La presse, fût-elle prestigieuse, est à la dévotion de la marchandise, donc de la destruction.

Seuls les moments historiques, par définition rares, permettent de déserrer cet étau, et d’informer sur ce qui se passe réellement. Dans l’époque moderne de la France, et malgré le poids écrasant alors de la presse stalinienne, la Libération de 1944 demeure un moment de grâce. 68, à sa manière tordue, en a été un autre. Il faudra donc attendre le prochain rendez-vous, ce qui n’interdit pas d’imaginer, et même de créer. Qui sait ? On en reparlera peut-être.

12 réflexions sur « Quand monsieur Le Boucher avoue qu’il ne sait rien »

  1. Demain, pas de Monde, ça ne nous manquera pas, loin de là. Cette presse officielle fait vomir,endort le monde en faisant diversion en permanence. J’espère qu’on reparlera en effet d’un éveil des consciences agissantes, et pas qu’avec des mots.

  2. Alors il paraitrait que Le Monde est en crise. Ben vraiment, on se demande bien pourquoi…

    Un conseil pour Le Monde : faites un grand ménage. J’espère qu’Hubert Beuve-Méry se retourne dans sa tombe, à la lecture des Le Boucher et Cie (n’aurait-il pas un patronyme prédestiné, ce petit marquis ?).

  3. Il nous faut continuer au plus vite à inventer des circuits de distributions et de communications parallèles, éthiques, équitables, solidaires , ces mots se complétent .
    Sur internet aussi, ça bouge : voici deux moteurs de recherche équitables : veosearch et hooseek . Je recherche un hébergeur de blog équitable et qui ne présente pas du tout ou alors des publicités sur des produits éthiques , et je ne trouve pas . pas question de subventionner google ! help !

  4. ce que je voulais dire, c’est qu’il ne faut même plus regarder, écouter ces gens-là . Il faut réinventer au plus vite et surtout, sans eux .

  5. Leur systeme OGM et agrocarburants est tellement con que c’est l’agriculture intensive et productiviste qui affame la moitié de la planete. Et le FMI qui regrette d’avoir poussé à produire des denrées exportables. En fait tous ces « intellectuels » qui nous dirigent ne sont que des baudruches.

  6. Moi qui souhaiterais devenir journaliste… Je ne lis avec plaisir que le canard enchaîné, les autres avec des pincettes. Peut être fais-je chnager de vocation ?

  7. Bah, « Politis » (je dis ça discrètement à cause de Fabrice…), je trouve que c’est tout de même lisible, même si (et heureusement, d’ailleurs) je ne suis pas d’accord avec toutes leurs analyses.

  8. Oui, oui Politis c’est pas mal mais un peu chiant parfois… Pardon austère ! Pourquoi faut il dire ça discrètement ?

  9. Pour Suzan,

    À cause de moi, comme l’indique Bruno. J’ai rompu spectaculairement, définitivement et sans regret avec ce journal en 2003. Pour des raisons que j’expliquerai peut-être un jour. Sur un autre plan que celui des idées, je dois avouer que je partage plutôt votre sentiment, et pas depuis ma rupture. Depuis beaucoup plus longtemps. Bah, il y a bien pire que tout cela, non ?

    Fabrice Nicolino
    +

  10. Bruno.Peut-etre que vu par un « hublot » comme dirait Nicolas,c’est normal (je ne sous marine pas et ne plane pas au dessus des autres )car ces gens la sont quand meme élus et meme réélus par une majorité.Mais bon…c’est peut-etre la « der des ders » comme disaient les Anciens ! .Au fait,Bruno,ils n’ont pas racheté le journal,si?.Pour Poutine se méfier surtout lorsqu’il parle de Race..drole de Saint !(sic)Amicalmement.

  11. Aux uns et aux autres :
    – oui, élus et réélus, c’est vrai (quoique, pour le clone de Poutine, il aurait fallu de vraies élections!) et il faut faire avec, en effet…
    – austère ? oui, c’est vrai mais, bon, quand, dans un moment d’égarement ou de désoeuvrement profond, je feuillette, par exemple, le Nouvel Obs, à part les pubs, y a quelque chose à lire ? Politis, au moins, donne souvent de quoi penser, c’est déjà beaucoup, non ?
    – amitiés.

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