Quand Bové déconne (il n’est pas seul)

Faudrait pas s’en aller. Mais en même temps, quel bonheur de partir et de tout débrancher ! Je viens donc de me carapater quelques jours et rien ne m’aura réellement manqué du spectacle ambiant. Je ne sais pas trop ce qu’il faut en penser. Est-ce moi ? Eux ? Nous, en somme ?

Bon, j’ai passé du temps avec mon ami Patrick, dans un lieu dont je ne peux rien dire de précis. Dont je ne veux, en réalité : il faut conserver par devers soi des territoires intimes. Et celui-là l’est, ô combien. C’est sublime. Il y a du schiste et du calcaire, une rivière et un ruisseau, des orchidées, des vallons qui referment leur mystère année après année. Et puis moi, lorsque j’y suis.

Avec Patrick, on est allés voir un type sympa comme tout, qui vendait quelques vieilles pierres pouvant servir de cadre et de jambage à une fenêtre future. Ancien ouvrier (hautement spécialisé) à domicile, retraité – mais toujours paysan -, il tient six hectares au bord de la rivière, où il cultive différentes plantes. Il est aussi propriétaire de ruines, de l’autre côté de la départementale. D’authentiques ruines perdues dans la pente, la ronce, le lierre et l’oubli. Avec au bas le bel encadrement de l’ancienne porte de l’entrée. Soit de très lourdes pierres, trois de chaque côté, dont il n’avait plus que faire.

Moi si. Pour cette future fenêtre. L’oeil avisé de Patrick, qui habite par là, avait repéré depuis longtemps ces six pierres de grès et approché l’ancien ouvrier. Qui avait fixé un prix dérisoire et topé avec moi. Ne restait plus qu’à récupérer les monstres. Nous y sommes allés l’autre matin, avec le fourgon de Patrick, un pied de biche, deux bastaings, un gros marteau, des gants et la brouette de René, évidemment. Que ferait-on, là où je me réfugie, sans l’aide de René et de ses nombreux matériels ?

À pied d’oeuvre, je dois dire que je n’en menais pas si large. La vieille entrée – donc les pierres d’encadrement – était au bord de la route, dans un tournant, et les bagnoles nous frôlaient les fesses au passage. Puis, il était clair que nous pouvions nous esquinter les mains et les pieds, au mieux peut-être. Patrick sait travailler ce genre de chantier foutraque, mais pas moi. Oh non !

Bref, nous fûmes à la lutte. Pour sortir les pierres de leur gangue de terre et de plantes enchevêtrées, les tirer de ce qui restait de maçonnerie, puis les basculer dans le vide. Oui, il n’y avait pas d’autre moyen que les extraire comme de très grosses molaires avant de les jeter dans la banquette, c’est-à-dire le fossé. Nous en avons fait rebondir deux ou trois sur les vieilles portes corrompues, que nous avions disposées comme des oreillers de bois. Le risque réel était que le vieux grès de la pierre ne cogne trop dur à terre et se brise. Car le grès est parfois du verre.

Bon, cela nous a pris du temps, et je préfère ne pas détailler l’extrême difficulté à placer une pierre de 120 kilos peut-être dans une brouette, alors que les voitures filent à cinquante centimètres de soi. L’important, c’est que nous avons réussi, sans rien casser d’autre que mon dos. Pour Patrick, je ne saurais dire.

Moi, c’est simple, j’étais fier et heureux. Je pensais que ces pierres avaient une histoire profonde qui menaçait bêtement de s’arrêter au bord d’une départementale sans âme. Je pensais que ce travail leur offrait une seconde vie, une vie neuve qui défierait à nouveau le temps, l’espace d’une seconde ou deux, au moins. Et je dois ajouter que la transaction sur les pierres couvrait une merveille, qui se trouvait ailleurs, et que nous sommes allés chercher avant de repartir.

Quelle merveille ? Une clé de voûte, en grès elle aussi. avec une date très visible dessus, accompagnée de plusieurs mots, en latin peut-être, à moitié effacés. Mais la date était limpide, elle, et c’était : 1789. Oui, la date de tous les débuts. Cette date miraculeuse qu’il faut aujourd’hui dépasser. Non pas oublier, certes. Mais dépasser, oui, et au plus vite !

Bon, là-dessus, je rentre. Et j’apprends qu’une manoeuvre de troisième zone a fait échouer le vote de la loi OGM à l’Assemblée nationale. Je vais vous dire : que me chaut ? Toute cette histoire, depuis les débuts calamiteux du Grenelle de l’Environnement en octobre 2007, respire le jeu de rôles, la manipulation, le faux-semblant. Car il n’a jamais été question d’interdire si peu que ce soit les OGM. Seulement de leur permettre d’avancer dans un pays qui résiste encore au rouleau compresseur de la marchandise universelle.

Je l’ai déjà dit maintes fois ici : pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas, les associations écologistes ont échangé leur indépendance contre un plat de lentilles. Et nous le payons tous. La pantomime d’hier n’est qu’un épiphénomène, qui sera vite oublié. Ce qui restera, c’est la loi. Une loi qui rendra légale la contamination de l’agriculture bio par les OGM. Et qui pourra conduire en prison ceux qui oseraient couper trois tiges de maïs génétiquement manipulés.

Mais qui manipule qui, ou quoi ? Je lis avec stupéfaction que José Bové a présenté le couac d’hier, au moment du vote, comme une « victoire historique ». Mon Dieu ! Une victoire ! Historique ! C’est ainsi, quand on ne porte plus attention au sens des mots et à leur portée, qu’on se retrouve perdu pour de vrai. Une grande partie des opposants actuels à la marche du monde se sont coulés dans le moule et acceptent de jouer le rôle légèrement bouffon que les médias leur concèdent.

J’aime bien José Bové, que je connais depuis une vingtaine d’années. Bien avant donc l’affaire de Millau. Je l’aime bien, mais cela ne m’empêchera pas de dire ce que je pense. Il déconne. Et quantité d’autres avec lui, qui ont créé le mythe d’un Borloo courageux et d’une Kosciusko-Morizet écologiste. Nous en sommes donc à ce point extrême de recul de la pensée : à les en croire, cette dernière, secrétaire nationale adjointe de l’UMP, parti du président, serait une alliée. Mais de qui ? Mais pour faire quoi ? Passer à la télévision ?

12 réflexions sur « Quand Bové déconne (il n’est pas seul) »

  1. Existe-t’il un réseau d’espionnage et sabotage industriel à des fins écolo,des humains qui agiraient au nom de ceux qui ne peuvent se défendre,plantes, animaux ,eau, air;parceque il faudrait y penser …que disparaissent les humains qui modifient l’adn des tomates afin qu’elles contiennent moins d’eau pour faire des économies au fabricants de sauce tomate….une logique qui n’a pas de fin….je refuse ce nouveau monde:malheureusement il est viable!mon chien se nourrit de croquette et vit on dirait bien;mais le problème c’est qu’il ne digère plus la viande :il en sera de même pour nous; nous ne digérerons plus la nourriture saine de nos origines ,mais nous n’en mourrons pas;parce que comme pour nos chiens que nous aimons beaucoup ,nous les adopterons ces fameuses croquettes,(comme les agriculteurs ont adoptés avec frénésie les ogm): gain de temps, d’argent ,de place,pas de vaisselle,toutes les vitamines y sont,adaptées exactement à vos besoins d’être superbement beau et intelligent et sportif ou pas(que les pubs vont être poétiques), ces croquetees seront délicieuses et vous pourrez vous les faire livrer pour une année…..c’est vraiment génial, je n’y vois que des avantages;et comme vous aurez des coliques terribles après un tartare ou une salade verte, vous risquez bien de rester à vie le nez dans vos croquettes…..dans cette guerre écolo il n’y aura pas beaucoup de combattants…alors non, je change d’avis, bouffez vos croquettes ,et moi, les gens anciens ,vais tranquillement faire comme tout le monde:raconter le temps jadis et sa fin…oui les animaux mourront, mais il y en aura d’autres;oui les humains mouurrons mais il y en aura de nouveaux,oui l’eau que l’on connait, l’air que l’on connait sera traité ,mais on s’y fera …alors tout va bien, parole de sophie …mais ça ne me plaît pas quand même d’assassiner la vie, de violer la vie ,juste pour faire des économies de roundup ou de temps de séchage des tomates .ah oui, salut Fabrice

  2. cet été on va faire des travaux avec ma famille, reconstruire notre maison de campagne qui a été brûlée et dont il reste les fondations, il y a juste le toit qui a été reconstruit. j’adorais cet endroit, encore un peu preservé … c’est parce que la maison était bien placée qu’elle était convoitée, tout autour des maisons poussent comme des champignons, enlaidissant le paysage …
    pourtant j’adore imaginer qu’au-delà de l’horizon tout est vert et vide d’hommes, mais plein de foisonnante nature …

    moi aussi je renouvellerai mon rapport à la terre, et l’approfondirait, être plus proche d’elle, et rien que ça, je pense que c’est important…
    savoir discerner l’important …

    tant que je continue à aller sur ce blog et à voir tomber les masques de certaines personnes, rester vigilante, je pense que je m’arme petit à petit, pour devenir peu à peu une guerrière de la vie, de la nature, avec des armes non violentes bien spur 😉
    je reste à l’écoute!

  3. NKM : ben ouais, le soir du 16 mars, après la branlée donnée à l’UMP, fallait voir comment elle allait au front et manipulait la langue de bois comme les autres (« pas assez de réformes », « pas assez vite »).
    Naïf qui la croit sincère au ministère. Elle est au mieux adepte féroce de la seule peinture verte.

  4. Je comprends absolument l’amertume face à cette tragédie des OGM : mais alors, selon toi Fabrice, il faudrait cesser de lutter tant l’espoir est vain de voir changer les choses en profondeur, un jour, partout dans le monde. Lorsque le combat est à ce point pipé, ridicule, faut-il pour autant les laisser faire cette pantalonnade sans chercher désespérement à creuser la brèche?

  5. Valérie,

    Mais pas du tout ! Je ne veux surtout pas dire qu’il n’y a rien à faire. Ce que je crois, tout au contraire, c’est qu’il faut construire et rassembler. Mais sur des bases solides, qui restent largement à définir. Ensemble. J’en ai simplement marre du cinéma habituel. Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  6. construire et rassembler sur des bases solides …on y arrivera peut-être en visant toujours le plus simple, le plus évident . c’est en cela que la pluspart des idées décroissantes ou de simplicité volontaires me séduisent.
    un slogan « vivre plus simplement pour que d’autres puissent simplement vivent » ont fait le tour du monde , on peut même dire aujourd’hui : « pour simplement vivre » ! Fi de la politique gauche , droite , centre, bleu, blanc, rouge . tout ça, c’est, à mon sens, dépassé, mort . Dès que l’on commence à agir simplement, on se rend compte à quel point nous sommes encore libres, et riches dans notre pays , et aussi à quel point nous sommes en retard dans nos carcans de pensées cartésiens. Nous avons la possibilité d’agir au présent, de dire non, fermement, simplement , sans violence, de choisir la solidarité entre nous, dans et hors frontière, la solidarité avec la nature, la solidarité avec la vie dans chacun de nos investissements qu’ils soient actés ou financiers . Fi des blablas politiques , récupérer une pierre et la poser, à bon escient, chacun, cela suffit . C’est à la portée de n’importe qui . se battre contre soi, contre des systèmes, pour la vie . et quand à cette loi et sa fanfare, oui, elle passera, non, nous ne l’accepterons pas , c’est tout .

  7. Ben voilà un « marché de gré à gré » où les portes sont corrompues et les « pavés »,arrachés,comme de vieilles molaires.Bon soit.Mais pourquoi avoir gardé le meme n° de code pour la clef?.En 2008 je trouve que cela fait « déplacé »,quoique.Au fait en T P une banquette n’est pas un fossé,comme dirait Adrien.Pour ce type d’opération un vieux Land,avec un treuil,vous aurait facilité la tache.Je sais….toujours la meme musique, tempo 4×4,les  » Be..atlés  » passent partout avec une force incroyable….comme l’humour!.

  8. « se battre contre soi » dit Bénédicte. C’est exactement ça. En premier lieu. Faire preuve, autant que possible, de congruence, adéquation entre prise de conscience et actes.

  9. Sur ce passage en force des ogm il faut pousser les feux.
    C’est l’occasion rêvée de répondre en lancant le boycot des viandes produites avec des OGM.
    Il est scandaleux de nourrir les animaux des élevages industriels avec des céréales alors que les populations locales sont affamées.
    Il faut dire qu’a chaque fois que vous mangez du poulet ou porc industriel, vous provoquez la pénurie alimentaire vous participez à la déforestation et a la pollution de l’air, des sols et de l’eau.
    Je le répète on utilise sept fois la surface agricole utile de l’Europe dans les pays comme le Brésil, l’Argentine, voire l’Afrique pour nourrir les animaux d’élevages industriels médicalisés.
    Il y a également bien d’autres raisons sanitaires de lancer le boycot.
    Je n’ai jamais assisté en ce moment à autant de destructions de zones humides, c’est l’horreur.
    On a pas le droit de cuiellir une orchidée protégée, mais on peut la détruire au round up, avec l’aprobation de la DDA..
    Avec la flambée du prix des céréales rien ne les arrête.

  10. 0 Canlou . tout à fait d’accord . trop d’horreur ou de gaspillages sont commis chaque jour pour que nous puissions encore faire comme si de rien était et fermer les yeux . parce que tout cela est : la maltraitance jusqu’à la barbarie du vivant dans son ensemble jusqu’à ce que disparition s’en suive , des hommes aux plantes . et non, il ne semble pas y avoir de limitte , en dehors de celles fixées par des calculateurs informatiques affectés aux services boursiers . ce que je dis peut paraitre délirant, c’est pourtant bien réel , et si nous sommes dans une telle impasse aujourd’hui , c’est parce que dans ces calculs , des éléments cruciaux ne sont jamais pris en compte , tels que humanité, souffrance, joie, maladie, pollution . nous devons imperativement lutter contre tous ces systèmes en nous y opposant par tous les moyens pacifiques à notre portée tant que cela est encore possible . ce qui ne nous empêchera pas d’aller vers le modernisme, bien au contraire . mais il n ‘y a rien de moderne dans ce qui se passe à l’heure actuelle . nous sommes même en pleine régression . il faut continuer à prendre conscience . pour ma part, je suis omnivore, mais de bio (que je contrôle, car de proximité au maximum) . c’est faisable, et même assez simple, surtout dans un pays comme la france .

  11. Oui Benedicte, bien-sur… mais vu que le « sans ogm » sera bientôt défini en france (c’est comme si c’était déja fait) en-dessous du seuil de 0,9% on ne pourra certifier comme animaux nourris « sans ogm » que ceux dont l’alimentation sera vérifiable par des labels crédibles, c’est à dire (et de plus en plus) avec des produits d’agriculture locale, à l’abri des contaminations… Pas si évident que ça il me semble. Il y faudrait une prise de conscience un peu plus consistante de tout le processus: pas seulement sous l’angle de l’économie (ça c’est pas très difficile), mais voir aussi comment fonctionne l’esprit humain, en nous, par nous-même; c’est sur ce fonctionnement que s’appuie l’économie. Le « toujours + » n’est pas qu’une simple habitude culturelle: nous sommes des intoxiqués de la croissance, et devant le manque nous agissons (et agirons) comme des drogués… On ne peut guère faire autrement qu’espérer sortir du rêve en assez grand nombre avant que ça pète. :o)

  12. @ françois b . je suis d’accord, d’autant qu’en réduisant au départ ma propre consomation, en respectant les saisons, ect j’ai été un moment un peu en manque. jusqu’au moment , qui vient assez rapidement, où l’on prend conscience de ce que l’on gagne à regarder simplement les richesses dont nous disposons autours de nous et qui nous sont données pour la pluspart . mais pour que cela dure, il faut en effet une prise de conscience de groupe majeure et sans retour …alors j’espère .

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