Les aventures de Louis-Marcel, ci-devant écoguerrier

Avant de commencer pour de bon l’historiette de ce mardi 7 juillet 2009, je précise que je suis en vacances chez moi, c’est-à-dire face au vallon au fond duquel coule un ruisseau. Ce ruisseau se jette un peu plus loin dans une rivière qui est l’une des plus belles parmi celles que je connais en France. En bref, la vie me semble étonnamment désirable. Si. L’autre soir, une petite chauve-souris est entrée, lors que toutes les ouvertures me semblaient fermées, et j’ai passé une bonne demi-heure à la faire sortir. Chez moi, qu’aurait-elle fait ? C’était presque la nuit, mais la lune passait ses rayons dans la pièce du haut, qui éclairaient de temps en temps le vol exténué de la petite bête. J’ai été bien heureux de la savoir vive, et libre.

Et maintenant, lui. On dirait que je connais un être à part, totalement à part. Je préviens de suite que ce n’est qu’une fable, cela va de soi. Où nicheraient donc de tels oiseaux ? Appelons-le Louis Marcel, ce qui lui va comme un gant. Il est – il a été – l’un des rarissimes vrais écoguerriers de notre pays. Je ne sais si ses aventures, que je garantis vraies, de source directe, seront un jour connues. Elles sont impressionnantes. Pendant sept ans, lui et cinq autres ludions menèrent une petite guerre privée contre la gestion officielle d’une des plus grandes forêts françaises.

Et quelle guerre ! Louis-Marcel a brûlé quantité d’engins très coûteux, attaqué nuitamment des tracteurs de débardage du bois, délivré des milliers de faisans prisonniers d’une chasse présidentielle, enfermés dans une douve. Il a passé des jours et quantité de nuits dans cette forêt, à surveiller et suivre comme une ombre ceux qu’il considérait comme des ennemis de la nature. Robin des Bois pas mort ! Le dernier des Mohicans, c’est lui ! Je vous jure que ce personnage – je le répète, purement imaginaire – était capable de rester immobile des heures dans un fourré avant que de fondre sur sa proie mécanique. Ceux qui ont lu Ed Abbey comprendront davantage que les autres. Mais enfin, cela reste clair, je crois : Louis-Marcel est un écologiste cohérent et conséquent.

Comment les choses ont-elles tourné ? Pas très bien. Pas si bien. Il ne m’appartient pas de révéler l’incroyable mobilisation policière qui accompagna ces chevauchées nocturnes. Nos flics, qui se plaignent tant du manque de moyens, réussirent à placer sur certaines lignes téléphoniques des écoutes qui durèrent – officiellement – 18 mois. À un moment de cette aventure, les exploitants de cette vaste forêt organisèrent une manifestation de protestation. Certain jour de juillet XXXX, ils bloquèrent même une grande route nationale, précédés par une banderole qui disait : « À bas les écoguerriers, laissez-nous travailler ! ». Bien que cette histoire n’ait évidemment jamais existé, il existe pourtant des photos inoubliables de cet événement. Étonnant, non ?

La grande forêt n’a pas été sauvée. Ce serait trop simple. Mais des graines, assurément, ont été plantées, qui germent et germeront encore, donnant des fruits que j’imagine à l’avance goûteux. Louis-Marcel, à moins qu’il ne s’appelle Adalbert, a fini par quitter la région, suivi de près par les crocs de Javert. Je le retrouvai d’abord dans un pays calcaire, et magnifique,  où il me parut proche du cachot. Un devoir de réserve compréhensible m’oblige à taire les raisons précises de mes craintes. Un beau soir, il s’enfuit à la cloche de bois, ne laissant derrière lui aucune trace. Tête des policiers déconfits.

Depuis, il est ailleurs. Dans un pays de collines pluvieuses et de petite montagne. Un ailleurs d’où je reviens. Où je suis allé l’embrasser, car, même si nous nous voyons peu, je le tiens pour un frère, qui peut me demander tout ce que je peux offrir. Il a changé. A-t-il changé ? Non, pas exactement. Ce destructeur d’objets est en réalité, était déjà un authentique bâtisseur. Dans d’autres circonstances, je gage qu’il aurait épaté le monde par ses réalisations. En attendant mieux, il m’épate moi, profondément. Là-bas, lui qui n’avait jamais manié la plupart des outils communs, il a construit de ses mains, rigoureusement seul, une maison de 300 mètres carrés, qui est une petite merveille écologique.

Comme sa vie est difficile, il a perdu cette maison. Intégralement. Et il en a construite une seconde avec un peu plus de  3 000 euros, qui ressemble à une délicieuse maison de poupées au milieu des pruniers. Le reste appartient à sa vie privée, dont je ne dirai rien. Ou peut-être un mot ? Il a une petite mioche adorable de moins de deux ans, dont l’œil noir traverse les parois du cœur.

Faut-il ajouter quelque chose ? Je ne pense pas, car il est 12h33, une heure à laquelle la terrasse qui donne sur le vallon commence à lancer des cris déchirants. Sachant que je suis heureux d’avoir pu embrasser Louis-Marcel, sa petite et sa compagne Cunégonde – ou Anne-Sophie ? -, sachant que le soleil ne cesse de vaincre tous ses adversaires dès sept heures du matin, sachant que je sais où se trouve mon vin rouge préféré, il est à craindre que je ne m’installe bientôt devant mon immensité à moi. Il arrive que le monde se montre bienveillant, même aux incrédules. Portez-vous bien.

6 réflexions sur « Les aventures de Louis-Marcel, ci-devant écoguerrier »

  1. Et magnifique, aussi, cette source d’inspiration qui se jette dans ce petit ruisseau, au fond du vallon….
    Merci, Fabrice, pour cet authentique moment d’évasion et de rêve !

  2. Quand tu ne verras pas le virtuel Louis-Marcel, tu lui serreras pour de bon la pince de ma part.
    Alors, il y a un an, un rouge-queue se posait sur ton épaule ? Quel oiseau va te visiter cet été ?

  3. Cher Fabrice, tu ne voudrais pas devenir »notre » Abbey et écrire le roman de la vie de Louis
    Marcel, peut être: le gang de la clé des champs?

    A ta santé dans ce coin idyllique.

  4. Cher Frédéric,

    Abbey ? Comment veux-tu ? Mais la vie de Louis-Marcel commande en effet un grand roman. Avis aux amateurs !

    Fabrice Nicolino

    PS : Idyllique, oui, je suis désolé pour ceux qui ne connaissent pas.

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