L’atèle à ma tata fait des siennes (pour de vrai)

Pour Chanee et Kellia

Vous n’avez pas nécessairement suivi les aventures de ma tata Thérèse à moi, que je garantis authentiques à 100 % et plus. Le dernier épisode remonte, je le dis pour les braves, au 23 novembre 2008 (ici). Avec elle, le temps ne passe pas, c’est réellement un cas étrange. Presque un an ! Presque un an, et elle est toujours aussi vivante. Ma tata a moi a beau être morte depuis un petit moment, je pense à elle tout le temps. Des morts comme elle, la vie en redemande, elle n’en aura jamais assez.

Mais de quel atèle parle-t-on ?

Ma tata, j’ai déjà raconté tout ça, habitait rue Larrey, dans une HLM riquiqui de Paris dont les fenêtres – les siennes en tout cas – donnaient sur le jardin de la Grande Mosquée. Des fois, on voyait des gens marcher dedans, avec de grands habits blancs. On aurait dit un pays chaud, je me demande s’il n’y avait pas des orangers. Sûrement. Ou alors des citronniers. Chez tata, quand on n’était pas sur le balcon à appeler les pigeons, il fallait toujours se serrer contre une table ou un meuble, même quand on était petit comme moi, car elle habitait dans un mouchoir, un mouchoir rempli d’oiseaux et de bêtes étranges venues du monde entier.

Du coup, un jour, j’ai rencontré l’atèle. C’est un singe, je précise pour les nigaudons. Un singe d’Amérique du sud qu’on appelle le singe-araignée. Il y en a des tas de sortes, mais le mien était tout noir, plus grand que moi quand il dépliait sa longue carcasse, mais il ne le faisait jamais. L’atèle vivait courbé comme un vieux saule pleureur. Le plus magnifique de tout, c’était ses gants de cuir noir plissé. On aurait juré qu’il venait de les enfiler pour nous recevoir. Ce singe aimait la visite, au moins pendant les premières années de sa vie de prisonnier. Je le voyais comme cela. Comme le prisonnier d’une princesse des animaux. La cage est si dorée que, si on ne fait pas gaffe, on ne voit plus les barreaux. Mais l’atèle n’oubliait pas. Quand il me regardait jusqu’au fond de l’oeil, je voyais le désert de Gobi et des milliers de larmes.

Comment avait-il atterri chez ma tata ? Elle l’avait récupéré chez un type qui n’en voulait plus. Une de ces braves personnes qui jouent avec les bêtes avant de les jeter à la poubelle. Au début, chez tata, il vivait plus ou moins dehors. Elle se moquait des crottes et des pipis. Si. D’ailleurs, pour être honnête jusqu’au bout, ma tata a fait dame pipi dans un de ces bistrots où on joue aux courses. Il fallait une énergie mortelle. Elle l’avait.

Le singe aimait bien les enfants. Je le prenais contre moi, et il m’embrassait à sa manière, entourant ses deux bras de géant autour de mon cou. Moi, je lui prenais la main, et je regardais son gant. Qui n’a pas vu une main d’atèle a perdu sa vie, et je m’y connais dans ce domaine. En temps ordinaire, le singe se promenait à peu près à sa guise. À peu près. Quand tata partait, par précaution, elle enfermait l’atèle dans une cage où l’animal se morfondait à vue de nez. Affreux.

Et c’est comme ça qu’un jour, tata est partie faire des commissions. Le reste, je le tiens d’elle. Je ne l’ai pas vu, mais je SAIS que c’est vrai, parce qu’elle était incapable de nous raconter des salades. La réalité était toujours plus folle que la plus folle des inventions. Donc, un matin, tata part et enferme l’atèle dans sa cage. Et dégringole les quatre étages, direction le marché de la rue Mouffetard. Sauf qu’elle avait mal refermé la cage de l’atèle. La suite ne peut qu’être reconstituée. Un, il ouvre la porte, descend par terre et commence à faire le con. Je vois très bien. Deux, il cherche une vraie distraction, qui lui ferait des souvenirs. Trois, il fait la chasse aux autres animaux de ma tata.

Ici, comme on dit, une incise. À ce moment précis de sa vie, je ne sais plus ce que comptait la ménagerie de ma tata. Disons quatre chiens, huit chats, deux fennecs, entre 100 et 200 oiseaux, entre 50 et 150 hamsters – elle revendait les petits sur les quais -, le perroquet Coco, le singe, un faisan. Ce n’est pas un inventaire, juste une évocation. Je sais bien que j’en oublie. Trois donc, il fait la chasse aux animaux. Les chiens aboient, les chats sautent sur les meubles le poil tout hérissé, les fennecs se planquent sous le buffet de la cuisine, Coco appelle la police en imitant la voix de ma tante, les hamsters quittent prudemment leur roue éternelle et se mettent à l’abri dans leur casemate de contreplaqué.

Quatre, l’atèle se redresse une fois pour toutes. Spartacus ! La révolte des esclaves ! Tout le pouvoir aux animaux ! La liberté ou la mort ! En avant comme avant ! L’atèle décide tout seul une évasion de masse en plein Paris. Je dis bien de masse, car ce singe était visiblement généreux et n’entendait pas s’enfuir tout seul. Cinq, il rassemble ses troupes dans le minuscule couloir de l’entrée de tata, et il ouvre la porte palière. Comment ? J’en sais rien du tout. Peut-être que ma tata ne l’avait pas claquée convenablement. Peut-être que l’atèle était serrurier.

Où en étais-je ? Six, il ouvre la porte, et libère d’un coup les chats, les chiens et les fennecs. Au moins. Et puis, montrant par là qu’il n’a aucune intention de revenir, d’un geste théâtral et splendide, il franchit le seuil en dernier et claque la porte derrière lui. La cavale n’a pas duré aussi longtemps qu’il l’avait peut-être imaginée. La suite, telle que racontée par ma tata, est la suivante. Une voisine, qui remontait avec un cabas chargé, a entendu des bruits ahurissants dans la cage d’escalier, et vu fondre sur elle une armée libératrice composée de chats, et de chiens, et de fennecs, suivie du général Atèle en personne, poussant quelques cris d’encouragement. La voisine serait tombée comme une masse, victime d’un malaise cardiaque (bénin).

Ainsi échoua l’une des plus courageuses tentatives de libération du règne animal entreprises sur le sol de Paris. Je raconterai un autre jour – quand il fera beau – ce qu’est devenu ce singe héroïque. De toute façon, il est comme ma tata. Immortel.

17 réflexions sur « L’atèle à ma tata fait des siennes (pour de vrai) »

  1. Bernard,

    Ravi de te trouver ici. Et, oui, ça sentait bon. Pas comme le drap neuf, ça non. Comme la vie vraie, sale et merveilleuse. C’est pas chez elle qu’on se serait inquiété de la grippe porcine !

    Fabrice Nicolino

  2. Ah , mais je préfère de loin un des contes de la rue Larrey, et en l’occurrence celui de ses musiciens ! Que voulez vous, la vie de DSK ou d’un autre est un hymne à l’ennui et tellement prévisible …longue vie à Tata !

  3. Vive Tata Thérèse ! 😀 😀 😀 😀 😀 😀 😀 😀 😀 😀 😀 😀
    Une demande de lecteur et Fabrice s’y atèle !!! Bon, on avait demandé plus d’une fois, certes, mais tout de même, ça fait du bien. Et on en redemande…

  4. Fabrice,

    Comment dire ? A la lecture des facéties de la succulente Tata Thérèse et de sa ménagerie, je me sens comme téléportée dans son petit appartement, prenant l’apparence d’une petite souris observant la scène par un trou dans le mur.
    Des détails si croustillants, si vivants, que l’espace d’une lecture, la réalité s’évapore pour laisser place à l’imaginaire le plus puissant.
    L’intelligence que tu « prêtes » à cet atèle (et aux autres protégés de cette chère Tata) flatte ma sensibilité à l’égard des animaux…
    Mille mercis.

  5. Chaperon rouge,

    Merci de ton merci, mais pour la suite, je vais attendre. Je n’ose l’avouer, mais tout n’est pas si rigolo, dans la vie de ma tata à moi. Or, j’ai promis de m’en tenir au vrai. Cela demande réflexion. Des bises pour tous les amoureux de Thérèse.

    Fabrice Nicolino

  6. A ton rythme bien sûr. Ta Tata Thérèse est un peu devenue notre Tata à tous. Et je ne pense pas trop m’avancer en disant que la lecture de ces tranches de vie sont pour nous source de tendres émotions.

  7. Tu ne t’avances pas trop Chaperon. Et cela me rappelle le Paris de mon enfance, le pittoresque évanoui de l’immeuble qui m’a vu grandir, pas de cet ordre, mais du même niveau.

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