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Planète sans visa rouvre ses portes

L’événement est du genre mineur, mais enfin, c’est comme ça : je reprends du service. Moi, Fabrice Nicolino, qui ai créé en septembre 2007, il y a plus de douze ans, Planète sans visa. Depuis cette date – je n’ai pas compté -, j’ai écrit et publié ici environ 1500 articles, tous disponibles. Ce que j’ai dans la tête n’a rien d’un secret. Il suffit de se référer à cette déclaration d’intention, en date du 27 août 2007.

Pourquoi s’y mettre à nouveau ? Parce que. Parce que, comme tant d’autres, je suis confiné et que ces circonstances amènent fatalement à penser un peu. Si j’en ai le goût, si j’en trouve le temps, j’écrirai ici un journal incertain, irrégulier et sincère sur ces jours d’agonie d’un monde détestable. Notons dès avant cela que Planète sans visa annonce audacieusement à son frontispice : une autre façon de voir la même chose.

Ce premier épisode concerne tous les êtres vivants, humains compris. J’éprouve depuis le départ une gêne à observer ce qui est si visiblement une épidémie de riches. Attention ! je ne souhaite pas aggraver mon cas, car je sais que ce que nous vivons est une très lourde épreuve. J’éprouve une compassion que je crois sincère pour les milliers de malades de France, les centaines de milliers de malades ailleurs. Et ne parlons pas des morts qui partent à la fosse seuls, sans même que leurs amis aient pu les accompagner. L’épouse de l’un de mes frères a dû accepter la crémation d’un proche à l’étranger, sans pouvoir faire le voyage. Bref, inutile de me chercher sur ce terrain : je sais combien tout cela est triste, douloureux, funèbre.

Je sais aussi que notre monde malade du Nord se contrefout, en règle si générale, du sort des autres. Le choléra, oublié ici depuis le 19ème siècle, tue chaque année 100 000 humains, dont chacun vaut bien la peau de chacun de nous. Faut-il rappeler la dernière phrase d’un texte célèbre ? « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.» Dans ce même temps, 272 000 enfants de moins de cinq ans meurent du paludisme. 650 000 de la grippe, et pas que des petits vieux. 770 000 du sida, malgré la trithérapie. Autour de deux millions de gosses boivent une eau contaminée, eux-mêmes vivant au milieu de 1,6 milliard d’humains sans accès sécurisé à une eau de qualité. 96 millions sont frappés par la dengue. 800 millions sont des affamés chroniques et 9 millions en meurent. Mais deux milliards d’adultes sont en surpoids, dont 650 millions d’obèses. 140 millions seront réfugiés climatiques dans leur propre pays en 2050, selon la Banque mondiale. Ou peut-être 250 millions, comme le craint l’ONU. À moins qu’ils ne soient un milliard, selon d’autres sources.

Est-ce assez ? Cela ne le sera jamais. En quarante ans, 60% des populations d’animaux sauvages ont disparu et le rythme s’accélère. Voilà qu’on s’en prend – et peut-être y a-t-il une part de vrai – au pangolin et à la chauve-souris, accusés d’avoir propagé le coronavirus. Il y a près de 25 ans, la grippe aviaire avait été l’occasion d’un fantastique déni mondial. On accusait les oiseaux sauvages, ces salauds, de transporter le virus dans le monde entier, avant de s’interroger sur les routes majeures de la propagation, qui étaient celles du transport d’animaux de l’élevage industriel.

Qu’en sera-t-il demain ? Savez-vous qu’en Chine, d’où tout est parti, on lance des fermes de 100 000 vaches à la frontière avec la Mongolie ? Que l’on élève des porcs dans des immeubles spécialement conçus pour en accueillir des milliers ? Que la peste porcine africaine (PPA) a peut-être tué au moment où j’écris – le pouvoir totalitaire le conteste -, 200 millions d’animaux ? Que la Chine toujours, pensant mieux se protéger du fléau, élève désormais des porcs géants, aussi lourds que des ours ?

Or, il pourrait y avoir 10 milliards d’humains sur terre en 2050. Qui les nourrira ? Selon l’Atlas mondial de la désertification, 20% de la surface végétale a subi un déclin de sa productivité agricole. Maria-Helena Semedo, directrice générale adjointe de la FAO : « Si nous n’agissons pas maintenant, plus de 90 % des sols de la surface de la terre pourraient se dégrader d’ici 2050 ». Il faut entre 200 ans et plusieurs millénaires pour obtenir un centimètre de sol.

Pourquoi vous asséner ces chiffres implacables ? Parce qu’ils sont implacables. Ils sont le cadre, la contrainte, le paradigme dans lequel tout doit être repensé radicalement. Telle est la base morale et pour tout dire raisonnable de tout discours politique en ce mois de mars 2020. La crise terrible du coronavirus doit être considérée, Dieu sait. Mais en sachant ce que nous avons sous les pieds. Les innombrables pantins et paltoquets qui nous ont conduits là ne nous sortiront pas de ce cauchemar. C’est l’heure des vaillants. Sortez de la paille, descendez des collines.

Méfiez-vous de tous

Encore un appel solennel à la révolte ? On ne se refait pas. Ce samedi soir, pas davantage qu’hier ou le mois dernier, je rumine. L’autre jour, passant à la gare du Mans, j’y ai vu le maire actuel, Stéphane Le Foll, donner une interview à Europe 1 sur le parvis. Je n’ai pas écouté, mais j’ai lu ce qu’il paraît penser sur le Nouvel Obs en juin. D’abord, rigolons gaiement : le porte-serviettes inusable de Hollande – il a été sa carpette de salon pendant 20 ans au siège du parti, rue de Solferino, puis ministre de l’Agriculture – y déclare que non, il n’est plus « hollandais ». Il a donc été « hollandais », c’est-à-dire rien, sans l’ombre d’une idée sur quoi que ce soit. Je rappelle que sur Planète sans visa, le 19 septembre 2010, j’ai écrit ceci :

« J’ai eu la curiosité malsaine d’aller jeter un regard sur le blog (ici) de François Hollande, premier secrétaire du parti socialiste entre 1997 et 2008, date de l’arrivée de Martine Aubry à ce poste. Hallucinant reste un faible mot pour décrire mon sentiment. Ce machin est lamentable de la première ligne à la dernière image (il y en a beaucoup, évidemment). Si vous en avez le temps et le courage, tapez donc sur le moteur interne de recherche des mots comme écologie ou biodiversité. Vous ne serez pas déçu de ce court voyage. Hollande n’est au courant de rien. Cet homme de 56 ans – ce n’est pas le perdreau de l’année – aura donc passé au moins trente ans à faire de la politique sans se rendre compte que la vie sur terre, et donc l’avenir des sociétés humaines, et donc celui des désolants politiciens dans son genre, étaient désormais en question. Il ne sait foutre rien. Et il a commandé le principal parti de la gauche pendant onze années ».

Or donc, Le Foll a servi ce drôle qui espère, pauvre chou, revenir en politique. Demain, l’immense duel Sarkozy-Hollande ? Je galège, bien entendu, car tout de même, non. Il est nel et bien notre passé stérile. Mais Le Foll, qui n’a jamais que 59 ans, est enfin réveillé. Il en tient désormais pour la « social-écologie » et même la « croissance sûre ». Cette expression, Le Foll est allé la trouver dans la Bible de l’entourloupe, qui aura permis de lancer dans l’arène planétaire le si funeste « développement durable ». Elle est dans le rapport Brundland, du nom de la Première ministre norvégienne de la date de publication, 1987. Or un homme a joué un rôle-clé dans sa rédaction, le Canadien Maurice Strong. Vous pouvez en savoir beaucoup plus en cliquant ici-même.

En tout cas, Le Foll découvre ce si beau rapport 32 ans après son apparition, qui a tant aidé à la destruction continuée du monde. Ce pourrait être drôle, c’est sinistre. Du temps qu’il était ministre de l’Agriculture – 16 mai 2012-10 mai 2017 -, Le Foll aura évoqué de temps à autre l’agroécologie, mais surtout tapé la carton du matin au soir avec la FNSEA et bien entendu couvert la farce hénaurme du plan Ecophyto, censé réduire l’usage des pesticides tandis qu’il augmentait. Dis Stéphane, tu nous dis où sont passés les centaines de millions d’euros d’argent public du plan ?

N’insistons pas, car ils sont en réalité tous pareils. On voit même un Cazeneuve ces jours-ci – il est le dernier Premier ministre de Hollande – tenter de faire croire qu’il pourrait se présenter en 2022 à la présidentielle. Mais pourquoi pas ? Ces gens nous ont habitués à tout, jusqu’à faire semblant de croire – derrière Mitterrand – que le parti socialiste entendait terrasser le « système capitaliste ». D’eux tous et en bloc, oubliez, et tournez le regard.

Faut-il vous parler des anciens staliniens ? Je ne suis même pas sûr. Eux aussi, dépourvus de la moindre idée en propre, ils ne savent plus où ils habitent, ces pauvres gens. Oublions même l’époque glorieuse où ces salopards vantaient l’atome – les plus dégueulasses, à l’époque de Maville 1977, c’était eux, et Marchais en 1980 vantait encore la centrale nucléaire de Plogoff en projet -, les grands travaux, la chimie de synthèse, l’Union soviétique. Il paraît qu’ils ont changé. La preuve par Braouezec Patrick, ancien ponte de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). En 2010, ce glorieux apparatchik quitte le PCF pour créer une très improbable Fédération pour une alternative sociale et écologique ou Fase – comme c’est astucieux -, car le monsieur est devenu écologiste. Très.

En 2012, en compagnie du ministre de la Ville de Sarkozy Maurice Leroy – vendu depuis à Poutine, il y fait du lobbying, mais oui, pour le Grand Moscou -, il signe un label d’excellence au projet Europacity, cette bouse (lire ici) destinée à tuer 700 hectares de terres agricoles aux portes Paris. N’est-il pas le président en titre de Plaine Commune, la structure intercommunale du lieu ? En 2017, il reprend sa carte au PCF et surtout, car le vent a sérieusement tourné, il est devenu un opposant à Europacity. Très.

Je pourrais vous tenir des pages entières sur la décomposition accélérée des derniers anciens staliniens, car je vomis leur histoire en totalité. Croyez-moi, je connais cette tragédie comme bien peu. Ce n’est la preuve de rien, mais la garantie que je n’écris pas pour ne rien dire. Un mot sur Mélenchon ? Allez, pour la route. Avez-vous remarqué combien la question écologique, pourtant présentée – frauduleusement, selon moi – comme centrale il n’y a guère, paraît avoir disparu. Là encore, je pourrais me perdre dans le labyrinthe des fantaisies mélenchoniennes, et je rappelle aux oublieux qu’il existe en haut et à droite un petit moteur de recherche qui permet d’aller droit aux très nombreux articles que j’ai consacrés à un homme que je juge exécrable.

Ceci posé, quoi ? La droite, Macron compris. J’ai si peu à voir avec eux, leurs idées, leurs fantasmes, leurs réalités, que je me sens tout dépourvu pour parler d’eux. Notez que je l’ai déjà tant fait. Voyez donc le cas Macron tel que je l’ai décrit ici et . Quant à ceux du Rassemblement national, j’ai également assez dit ce que j’en pensais. Je les conchie et les maudis.

Que reste-t-il ? Ceux qui se réclament de l’écologie politique. Comme si l’écologie pouvait être autrement que politique, pour un humain en tout cas. Je n’ai guère le cœur d’insister ce jour sur cette génération qui s’est tant vautrée dans le cirque politico-médiatique. Tout de même ! Qui demande le moindre compte à Dominique Voynet et Yves Cochet, ministres de Jospin pendant son quinquennat de Premier ministre entre 1997 et 2002 ? Qui ? Les deux pouvaient et devaient – n’était-ce pas une injonction absolue ? – se battre contre le dérèglement climatique. L’ont-ils fait ? Non. Ils avaient trop envie de leur petit trajet sous les lumières de leur monde. Suis-je en colère contre eux ? Pas qu’un peu, beaucoup. Voynet a siégé près de trois ans au conseil des ministres en compagnie du criminel climatosceptique Claude Allègre. Sans moufter jamais. Et Cochet qui a pris sa suite en 2001, après le départ d’Allègre il est vrai, qu’aura-t-il tenté ? Rien non plus. Honte éternelle.

Ne croyez surtout pas que le silence régnait sur les faits. Le journal Politis, dont je faisais partie – ô combien – était lu tant par Voynet que par Cochet. Cet hebdo était tenu comme l’ami des Verts, ce que moi-même je n’ai jamais été. Eh bien, Politis consacrait sa couverture et un dense dossier au Grand flip climatique dès février 1989. Huit ans avant que Voynet n’entre au gouvernement ! Moi qui vous écris, j’ai constamment bataillé dans ces années-là, exprimant avec force dans mes articles publics, lus pourtant par la chefferie verte, que la crise climatique était la mère de toutes les batailles humaines.

Et j’ai attaqué publiquement Allègre dès le 4 décembre 1997 – in Politis – et récidivé tant de fois que je n’en ai pas le nombre. Les faits étaient sur la table et ces gens – Voynet, Cochet et toutes leurs troupes maigrelettes – s’en sont foutu. Voilà la vérité. Le 12 novembre 1998, il y aura bientôt 21 ans, j’écrivais : « Il n’y a pourtant aucun doute : sans le dynamitage de nos modes de vie, la température de notre globe augmentera irrésistiblement. On ne peut pas demander aux Français de consommer massivement – la croissance, la croissance ! – et défendre les grands équilibres écologiques. Du point de vue de Gaïa, il n’y a aucune différence entre Jospin et Chirac ».

Comme la génération socialiste de 1981, ridiculement couchée au pied de son maître et seigneur Mitterrand, celle des écolos – mot que j’abhorre fort justement – a montré qu’elle était incapable d’honorer le moindre engagement sérieux contre la crise écologique planétaire. Yannick Jadot, s’il voulait conquérir un peu d’un espace politique véritable, commencerait par interroger le passé de son parti. Car ce n’est pas dans l’aveuglement que l’on avance, mais dans la clarté du jour. Embourbé comme le furent les autres, il ne le fera pas, je le parie ici. Et son règne provisoire s’achèvera sans qu’aucune question fondamentale n’ait été posée. Les Verts, 34 ans d’histoire et de folles défaites, et pas une seule explication.

Vous me trouvez dur ? Eh bien, c’est ainsi que je suis et ce n’est plus l’heure de changer. Je l’ai écrit dix, peut-être cent fois : nous devons inventer des formes politiques neuves, adaptées aux défis que nous connaissons. Tous ceux qui rament aux côtés des barques et galères du passé perdent leur temps, et le nôtre. Avons-nous encore assez d’énergie ? Voulons-nous vraiment combattre les monstres qui nous assaillent ? Voilà à quoi devrait passer le mois d’août des gens studieux.

Le coquelicot, fleur anarchiste

Ce texte a paru il y a quelques jours sur Reporterre

On vous a fait le coup cent fois, et rien ne dit que ce soit la bonne. Mais nous le croyons, nous qui avons lancé le mouvement des coquelicots le 12 septembre 2018. Nous croyons tout simplement que nous allons gagner. Qu’en octobre 2020 – nous comptons bien tenir jusque là -, cinq millions d’entre nous auront rejoint notre Appel ! Cinq millions ! Que dit notre Appel ? Quelque chose de simple, mais en même temps décisif : nous voulons des coquelicots, et parce que nous voulons des coquelicots, très fort, nous exigeons l’interdiction de tous les pesticides de synthèse.

Qu’est-ce donc qu’un coquelicot ? Le mot a fait des cabrioles dans la langue française passant de coquelicoq à coquelicoz (au pluriel), s’autorisant la variante coquerico. En réalité, c’est simple : notre fleur magnifique tire son nom d’une ressemblance avec la crête d’un coq, au moins par sa couleur. Citation du grand agronome Oliver de Serres, mort en 1619 : « Quoquelicoq est espece de pavot ; il croist en terre grasse et bien labourée, estant en fleur un peu devant la maturité des bleds ([blés], parmi lesquels se mesle il ». Nous ne sommes pas les premiers amoureux.

Mais bien sûr, outre qu’il est somptueux, le coquelicot est un combattant de la biodiversité. Demandez leur avis aux abeilles décimées par les pesticides ! Elles ne fondent pas sur eux pour le nectar, qu’ils ne produisent pas, mais pour leur pollen. Bien que les études demeurent rares, le coquelicot joue un grand rôle pour le maintien de nombreux ruchers, pendant la disette printanière qui succède au fleurissement du colza. Au reste, c’est un prêté pour un rendu, car le coquelicot ne peut pas s’autoféconder, et dépend en bonne part des circonvolutions des abeilles pour se féconder. Elles ne le voient pas en rouge, comme nous, mais en bleu, dans un rayonnement ultraviolet. Comme on les envie, hein ?

Au fait, combien de graines ? Une fleur peut produire 20 000 graines à elle seule, qui ne pèseraient dans l’affreuse balance du marchand, que 2 grammes. Soit 0,0001 gramme l’unité. Une plume, moins qu’une plume. Et là, patiemment planquées sous trois grains de terre, elles attendent le moment favorable. Combien de temps gardent-elles leur pouvoir de germination ? Chez les semeurs de tous horizons, la discussion n’en finira jamais : certains comptent en années, d’autres en décennies. Et les plus audacieux en siècles. Notre avis : le coquelicot est increvable. Et même celui qui se moquerait de sa beauté de reine devra bien reconnaître qu’il est divin sur le pain ou les salades, souverain pour qui veut faire une vraie sieste réparatrice. Disons-le : c’est un grand ami.

Il y a moins drôle. Le 2 mai 1915, le médecin-major canadien John McCrae doit enterrer son ami Alexis Helmer, tout juste âgé de 22 ans, qui vient de mourir sur le front belge de la Première Guerre mondiale. Le lendemain, il écrit en hommage ces mots puissants :

« Dans les champs des Flandres, les coquelicots fleurissent

Entre les croix qui, une rangée après l’autre,

Marquent notre place ; dans le ciel

Les alouettes chantent encore courageusement

A peine audibles entre les canons qui tonnent (…). »

C’est horrible, mais en ce premier printemps du massacre, les terres bouleversées par les obus ramènent à la surface des graines de coquelicots qui couvrent les champs de la mort de milliards de fleurs rouges, qui deviendront, en Angleterre et au Canada, le symbole du souvenir. Depuis 1920, les poppies – nos coquelicots – sont arborés chaque 11 novembre par des millions d’humains recueillis.

On n’est pas obligé de se prosterner. Ni d’accepter qu’un tel symbole puisse représenter tant de corps déchiquetés. Notre grand ethnobotaniste Pierre Lieutaghi, par exemple, note que le coquelicot « se moque des frontières », ajoutant qu’il y a « de par le vaste monde, beaucoup d’êtres qui, en mai, le découvrent avec bonheur et qu’il vaut mieux, pour une fleur, symboliser la joie que le sanglant sacrifice ».

Comment ne pas exulter avec lui ? On connaît au moins 9 tableaux de Monet avec des coquelicots, peints entre 1873 et 1891. Preuve que qui plantait alors son chevalet en Île-de-France au printemps avait les yeux éblouis par les quatre pétales écarlates. On les voit aussi chez le Van Gogh d’Auvers-sur-Oise, comme dans cette merveille peinte en juin 1890 sous un inimitable ciel bleu et jaune. Ou chez Courbet, Klimt, Sérusier, Renoir. Le coquelicot, ensorcelante beauté du monde.

L’historienne Arlette Farge est pour nous une amie depuis qu’elle a décrit sa « fragile audace », notant : « Grâce aux graines qui s’échappent du fruit, il se ressème seul où bon lui semble, tel un fugitif. Cela ne fait que renforcer mon désir de l’approcher, sans le cueillir bien sûr tant j’aurais crainte qu’il ne s’étiole ou se chiffonne. Jamais, on le sait, on ne pourra en faire des bouquets à mettre dans des vases, comme on le fait des roses ou des pivoines. Quelque chose me dit que c’est un peu de sa fierté d’être ainsi, et me plaît son refus d’être en quelque sorte apprivoisé ».

Oh oui ! Le coquelicot est cette fleur anarchiste qui reparaît sans cesse là où les méchants de l’histoire, comme ces damnés pesticides, croyaient l’avoir éradiqué. Pour nous, et pour vous tous nous l’espérons, vouloir des coquelicots, en ce début d’année, est l’espoir puissant que nous pouvons inverser le courant maudit qui nous conduit au précipice.  Ensemble, tant de choses seraient possibles, qui paraissent aujourd’hui démesurées. Nous allons vaincre la rapacité, le profit, la laideur, l’incommensurable sottise de ceux qui ne font pas de vraie différence entre une fleur sauvage et son artefact en plastique imputrescible. Nous allons vaincre, parce que nous n’avons plus le choix. Nous allons vaincre, amis lecteurs de Reporterre, si vous vous décidez à sortir du rituel et du virtuel des pétitions sur internet.

Si nous vous invitons à signer massivement notre Appel (nousvoulonsdescoquelicots.org), c’est que, justement, il ne s’agit pas d’une pétition. Mais d’un véritable Appel à l’action. Vous en saurez plus le 4 janvier à 18h30, devant les centaines de mairies de France où tous les Coquelicots se réuniront pour le quatrième mois consécutif. N’écoutez pas les rieurs : relevant enfin la tête, nous allons faire l’Histoire.

François de Beaulieu et Fabrice Nicolino

Quand les pesticides tuent massivement

Il me semble bien que voici une réponse – parmi mille autres – à la désinformation sur les pesticides. L’article que je mets ci-dessous est normalement réservé aux abonnés du journal Le Monde, mais je prends sur moi de le publier ici. Vous lirez ou pas. C’est extraordinaire. Certes, les champignons sont de toujours. Tortotubus n’aurait-il pas 440 millions d’années ?

Si la plupart sont inoffensifs pour les hommes – voire délicieux -, quelques-uns sont redoutablement toxiques. Les grandes familles dangereuses de champignons, souvent microscopiques, tueraient autant, à l’échelle planétaire, que la tuberculose ! Et les attaques fongiques contre les cultures de blé font chuter leur rendement de 20 %. La bagarre contre les « mauvais » champignons est une urgence mondiale.

Or l’on assiste à une poussée peut-être irrésistible de ces champignons-là. Les cinq principales cultures vivrières sont de plus en plus menacées. Ainsi que quantité de plantes et d’animaux, dont certains seraient poussés vers l’extinction par des champignons, comme les batraciens.

L’une des causes essentielles de ce phénomène est probablement « l’émergence mondiale de résistance aux antifongiques ». Le dérèglement climatique favorise les champignons et l’agriculture industrielle balance de plus en plus de pesticides sur les cultures, accélérant dans un cercle fou la résistance des champignons dangereux à tous les traitements. Cette année, dans le sud de la France, les vignerons avec pesticides ont traité de 15 à 17 fois leurs parcelles contre 11 en moyenne d’habitude.

Les pesticides ne sont pas la solution, évidemment. Ils sont le problème. Rejoignez l’Appel des coquelicots (https://nousvoulonsdescoquelicots.org) ! Et le 5 octobre à 18h30, tout le monde se retrouve devant les mairies des villes et des villages. Attention, il y aura quelques exceptions. A Lyon, par exemple, ce sera place Bellecour. Avec coquelicots, instruments de musique, gosses et cracheurs de feu.

 

Aspergillus fumigatus fungus. Coloured scanning electron micrograph (SEM) of fruiting bodies of the fungus Aspergillus fumigatus. This fungus causes aspergillosis in humans. The round structures (conidia) are covered in tiny spores, about to be released into the air. A. fumigatus grows in household dust and decaying vegetable matter. Although harmless to healthy people, the fungus can cause complications in people with respiratory complaints or weakened immune systems. Inhalation of the spores may lead to aspergill- osis, infection of the lungs and bronchi, which can be fatal in some cases. Magnification unknown.

Les champignons, une menace silencieuse sur la santé et l’alimentation humaine

Par Nathaniel Herzberg

Enquête
Publié le 17 Septembre 2018

Les pesticides épandus pour protéger les récoltes des attaques fongiques ont engendré des résistances, y compris chez des souches qui infectent l’homme.

Faites le test : demandez autour de vous quel champignon présente le plus de danger pour l’humain. Neuf personnes sur dix choisiront l’amanite phalloïde. Erreur on ne peut plus funeste. Avec ses quelques dizaines de décès en Europe les pires années, le « calice de la mort » devrait faire figure d’amateur dans la planète mycète. De même que le moustique surpasse de loin tous les animaux réputés féroces, les vrais tueurs, chez les champignons, sont microscopiques, méconnus et autrement plus meurtriers que notre vénéneuse des forêts.

Cryptococcus, pneumocystis, aspergillus et candida : chaque année, chacune de ces grandes familles tue plusieurs centaines de milliers de personnes. Selon les dernières estimations du Gaffi (le Fonds global d’action contre les infections fongiques), les pathologies associées feraient au moins 1,6 million de victimes annuelles, soit presque autant que la tuberculose (1,7 million), la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde. « Des estimations basses », précise le professeur David Denning, directeur exécutif du Gaffi et chercheur à l’université de Manchester.

D’autant qu’elles ne prennent nullement en compte le poids des attaques fongiques dans les désordres alimentaires mondiaux. Les deux principales pathologies du blé, la septoriose et la rouille noire, toutes deux provoquées par un champignon, feraient baisser la production mondiale de 20 %. La production ainsi perdue suffirait à nourrir 60 millions de personnes. Etendues à l’ensemble des cultures agricoles, c’est 8,5 % de la population mondiale, soit environ 600 millions de personnes, selon des chiffres publiés en 2012, qui pourraient garnir leurs assiettes si les lointains cousins de la truffe épargnaient les récoltes.

Taches de septoriose sur des feuilles de blé tendre, en France.

Taches de septoriose sur des feuilles de blé tendre, en France. NICOLE CORNEC / ARVALIS

Il faut dire que les champignons sont partout. Sur nos poignées de porte et au bord de nos baignoires, à la surface des aliments que nous ingérons comme dans l’air que nous respirons. Essentiels au cycle du vivant, ils digèrent les déchets et les recyclent en énergie disponible. Sans eux, pas de compost ni d’engrais naturels, pas de roquefort ni de vins doux. Encore moins de pénicilline, ce premier antibiotique né de l’appétit des moisissures penicillium pour les bactéries. Précieux pour l’ordre végétal, donc, et pour la plupart sans danger pour les humains.

« Sur les quelque 1,5 million d’espèces estimées, quelques centaines ont la capacité de survivre dans notre organisme, souligne le professeur Stéphane Bretagne, chef du laboratoire de mycologie de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, et directeur adjoint du Centre national de référence (CNR) des mycoses invasives de l’Institut Pasteur. En plaçant notre corps à 37 degrés, l’évolution nous a mis à l’abri de la plupart des champignons. Les autres, quand tout va bien, sont éliminés par notre système immunitaire. »

« Plus complexe qu’une bactérie »

En avril 2012, pourtant, un inquiétant « Fear of Fungi » (« La peur des champignons ») barrait la « une » de la prestigieuse revue Nature. Sept scientifiques britanniques et américains y décrivaient l’explosion d’infections virulentes parmi les plantes et les animaux. On croyait, depuis la grande famine irlandaise (1845-1852) et les épidémies d’oïdium (1855) puis de mildiou (1885) qui détruisirent l’essentiel de la vigne française, que les grands périls agricoles étaient derrière nous. Eh bien non, répondaient-ils : la pression fongique sur les cinq principales cultures vivrières ne cesse de s’intensifier. Le blé, donc, mais aussi le riz, assailli dans 85 pays par la pyriculariose, avec des pertes de 10 % à 35 % des récoltes.

Idem pour le soja, le maïs et la pomme de terre. « Si ces cinq céréales subissaient une épidémie simultanée, c’est 39 % de la population mondiale qui verrait sa sécurité alimentaire menacée », explique Sarah Gurr, du département des sciences végétales de l’université d’Oxford, une des signataires de l’article.

Les champignons ne s’en prennent pas qu’à l’agriculture, rappelaient les chercheurs. Reprenant la littérature, ils constataient que 64 % des extinctions locales de plantes et 72 % des disparitions animales avaient été provoquées par des maladies fongiques. Un phénomène amplifié depuis le milieu du XXe siècle : le commerce mondial et le tourisme ont déplacé les pathogènes vers des territoires où leurs hôtes n’ont pas eu le temps d’ériger des défenses. Les Etats-Unis ont ainsi perdu leurs châtaigniers, l’Europe a vu ses ormes décimés. Les frênes sont désormais touchés : arrivée d’Asie il y a quinze ans, la chalarose a ainsi frappé la Pologne, puis toute l’Europe centrale. Elle occupe désormais un tiers du territoire français. Seule chance : Chalara fraxinea ne supporte pas la canicule. La maladie a donc arrêté sa progression et commencerait même à reculer.

Les animaux sont encore plus durement atteints. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 40 % des espèces d’amphibiens sont aujourd’hui menacées, des dizaines auraient disparu. Premier responsable : Batrachochytrium dendrobatidis, alias Bd. Depuis vingt ans, le champignon venu de Corée a décimé grenouilles et crapauds en Australie et sur l’ensemble du continent américain. Son cousin Bsal, lui aussi arrivé d’Asie, cible salamandres et tritons européens avec une mortalité proche de 100 %. Aux Etats-Unis, un autre champignon, le bien nommé Geomyces destructans, poursuit son carnage auprès des chauves-souris. La maladie du museau blanc touche près de la moitié du pays et aurait tué plusieurs millions de chiroptères.

Dans le Vermont, aux Etats-Unis, des chauves-souris brunes sont frappées par la maladie du museau blanc.

Dans le Vermont, aux Etats-Unis, des chauves-souris brunes sont frappées par la maladie du museau blanc. RYAN VON LINDEN / US Fisheries and wildlife / SPL/ BIOSPHOTO

Coraux et tortues dans les mers, abeilles, oies et perroquets dans les airs… la liste est longue. « Il ne fait guère de doute que ces pathologies sont de plus en plus nombreuses, affirme, statistiques à l’appui, Matthew Fisher, du département des maladies infectieuses de l’Imperial College de Londres, premier signataire de la publication de 2012. Depuis notre article, il y a eu une prise de conscience, mais la situation s’est détériorée. »

Aussi en mai, Matthew Fisher et Sarah Gurr ont récidivé, cette fois dans Science, en s’adjoignant les services du Suisse Dominique Sanglard. Biologiste à l’université de Lausanne, il traque « l’émergence mondiale de résistance aux antifongiques » en incluant dans le tableau les pathologies humaines. Des maladies « longtemps négligées, souligne-t-il. D’abord, elles étaient moins fréquentes que les pathologies bactériennes ou virales. Ensuite, elles frappent des patients immunodéprimés dont les défenses ne sont plus capables de contenir les champignons , pas des sujets sains. Enfin, un champignon, c’est beaucoup plus complexe qu’une bactérie, beaucoup plus proche de nous aussi, donc plus difficile à combattre sans attaquer nos propres cellules. »

L’épidémie de sida, dans les années 1980, a commencé à modifier la donne. « Les patients immunodéprimés se sont mis à mourir massivement de pneumocystoses ou de cryptococcoses », se souvient Olivier Lortholary, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Necker et directeur adjoint du CNR mycoses invasives à l’Institut Pasteur. Si l’accès aux trithérapies a permis de limiter l’hécatombe dans les pays occidentaux, il n’en va pas de même ailleurs dans le monde. Selon les dernières statistiques du Gaffi, plus de 535 000 malades du sida meurent encore chaque année, victimes d’une infection fongique associée. « C’est sans doute plus, insiste David Denning. Certaines pathologies fongiques pulmonaires sont prises pour des tuberculoses. »

Mycologue au CHR de Cayenne, Antoine Adenis en sait quelque chose. La forte présence de la leishmaniose dans le département avait conduit le service de dermatologie à analyser toutes les plaies des patients séropositifs. « Nous avons découvert la présence de l’histoplasmose un peu par hasard », raconte-t-il. Les médecins ont alors systématiquement recherché le champignon histoplasma et découvert qu’il constituait la première cause de décès des malades du sida en Guyane. Au Suriname voisin, réputé vierge de champignons, il a découvert que « 25 % des hospitalisés VIH étaient touchés ». Le médecin a ensuite étendu son étude à toute l’Amérique latine. Le résultat a stupéfié la communauté : selon un article publié en août, dans The Lancet, le champignon y tuerait quelque 6 800 personnes par an, plus que la tuberculose, réputée première cause de mortalité associée au sida.

Les champignons et leurs spores ne se contentent pas d’attaquer les porteurs du VIH. « Ils compliquent toutes les pathologies respiratoires quand ils ne les provoquent pas », explique David Denning. Asthme sévère, aspergilloses broncho-pulmonaires allergiques ou chroniques… « Cela représente plus de 14 millions de personnes dans le monde et au moins 700 000 décès par an », assure le médecin britannique.

Un adolescent anglais atteint par une teigne résistante aux antifongiques.

Un adolescent anglais atteint par une teigne résistante aux antifongiques. D.DENNING/LIFE

Enfin, il y a les pathologies dites « hospitalières ». « Chimiothérapies, greffes de moelle, transplantations d’organes, biothérapies… La médecine moderne, comme l’augmentation de la durée de la vie, multiplie la quantité de malades immunodéprimés dans les hôpitaux, analyse Tom Chiller, chef de la branche mycoses du Centre de contrôle des maladies américain (CDC). Beaucoup ont déjà en eux des champignons qui trouvent là l’occasion de prospérer, ou ils les rencontrent à l’hôpital. Tous représentent des cibles idéales. »

Une fois les pathogènes dans le sang, le pronostic devient effrayant. A l’échelle mondiale, le taux de mortalité parmi le million de malades traités avoisinerait les 50 %. « En France, depuis quinze ans, le taux reste entre 30 % et 40 % pour les candidoses, entre 40 % et 50 % pour les aspergilloses, indique Stéphane Bretagne. Désespérément stable. » « Et l’incidence des candidoses systémiques augmente de 7 % chaque année, renchérit son collègue Olivier Lortholary. Même si c’est en partie dû à l’augmentation de la survie des patients de réanimation aux attaques bactériennes, c’est une vraie préoccupation, ma principale inquiétude avec les champignons émergents souvent multirésistants. »

Un suspect : les horticulteurs

Résistances et émergences : l’hôpital de Nimègue, aux Pays-Bas, et son équipe de recherche en mycologie, en sont devenus les références mondiales. En 1999, le centre y a enregistré le premier cas de résistance d’une souche d’Aspergillus fumigatus aux azoles, la principale classe d’antifongiques. Puis les cas se sont multipliés. « Et ça ne cesse de croître, souligne Jacques Meis, chercheur au centre néerlandais. Dans tous les hôpitaux des Pays-Bas, la résistance dépasse les 10 %, et atteint jusqu’à 23 %. » Avec pour 85 % des patients infectés la mort dans les trois mois.

L’inhalation des spores d’« Aspergillus fumigatus » peut entraîner une infection invasive des poumons et des bronches, souvent fatale.

L’inhalation des spores d’« Aspergillus fumigatus » peut entraîner une infection invasive des poumons et des bronches, souvent fatale. JUERGEN BERGER / SPL/ COSMOS

Les scientifiques n’ont pas mis longtemps à désigner un suspect : les horticulteurs. Aux Pays-Bas, champions de l’agriculture intensive, le traitement standard des tulipes consiste à en plonger les bulbes dans un bain d’azoles. Longtemps, les organisations agricoles ont plaidé non coupables. Mais à travers le monde, les preuves se sont multipliées. A Besançon, où ont été mis en évidence les deux premiers cas français d’aspergilloses résistantes chez un agriculteur et un employé de la filière bois, les mêmes souches mutantes ont été trouvées dans les champs du malade et dans plusieurs scieries de la région.

« Les agriculteurs ne visent pas les mêmes champignons, mais les fongicides qu’ils emploient ne font pas la différence, ils rendent résistants les pathogènes humains », explique Laurence Millon, chef du service de parasitologie-mycologie du centre hospitalier de Besançon. « L’histoire se répète, soupire Matthew Fisher. L’usage massif des antibiotiques par les éleveurs a développé les résistances des bactéries humaines. L’emploi à outrance des fongicides par les cultivateurs fait de même avec les champignons. »

Le monde agricole se trouve pris entre deux menaces. D’un côté, la résistance toujours plus importante de champignons dopés par le changement climatique conduit à multiplier les traitements phytosanitaires. « Cette année, dans les vignes du sud de la France, la pression fongique était telle qu’au lieu des onze traitements annuels moyens ce qui est déjà beaucoup , les vignerons en ont délivré entre quinze et dix-sept », constate Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Institut national de la recherche en agronomie (INRA). La faute à un printemps exceptionnellement pluvieux et un été particulièrement sec. Mais aussi à l’adaptation des champignons à tout ce que le génie humain invente de produits phytosanitaires.

Depuis les années 1960, l’industrie s’en est pris successivement à la membrane des cellules du champignon, à leur paroi, à leur ARN ou à leur respiration… Cinq classes d’antifongiques ont ainsi été mises au point. « Trois étaient vraiment efficaces, résume Sabine Fillinger, généticienne à l’INRA. Les strobilurines rencontrent des résistances généralisées. De plus en plus de produits azolés connaissent le même sort. Il reste les SDHI [inhibiteur de la succinate déshydrogénase], mais ils commencent à y être confrontés et ça va s’aggraver. »

De plus en plus impuissants face aux pathogènes, les fongicides agricoles se voient aussi accusés de menacer la santé humaine. Des chercheurs de l’INRA et de l’Inserm ont ainsi lancé un appel dans Libération, le 16 avril, afin de suspendre l’usage des SDHI. Le dernier-né des traitements n’entraverait pas seulement la respiration des cellules de champignons ; par la même action sur les cellules animales et humaines, il provoquerait des « encéphalopathies sévères » et des « tumeurs du système nerveux ».

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a décidé d’examiner l’alerte. Elle s’est d’autre part autosaisie afin de vérifier l’éventuelle toxicité humaine de l’époxiconazole. « Cet azole est l’une des dernières substances actives sur le marché, nous en utilisons 200 tonnes par an en France, mais c’est également un reprotoxique de catégorie 1 [affecte la fertilité], la plus préoccupante, et un cancérigène de catégorie 2 », indique Françoise Weber, directrice générale déléguée au pôle produits réglementés de l’Anses. Un avis négatif de la France pourrait peser en vue de la réévaluation du produit au niveau européen, prévue en avril 2019.

Hécatombe mondiale

A l’INRA comme à l’Anses, on jure avoir comme nouvel horizon une agriculture sans pesticide. Développement de nouvelles variétés, diversification des cultures, morcellement des paysages et « anticipation des pathologies nouvelles que le changement climatique fait remonter vers le nord et que le commerce mondial apporte d’Asie », insiste Christian Huyghe. Du blé tendre aux laitues ou aux bananes, nombre de cultures font face à des pathogènes émergents. Des champignons nouveaux frappent également les humains. Dans les services hospitaliers, le dernier diable s’habille en or. Découvert au Japon en 2009 et intrinsèquement résistant à tous les traitements, Candida auris flambe particulièrement dans les hôpitaux indiens, pakistanais, kényans et sud-africains. La France semble jusqu’ici épargnée. Mais cinq autres champignons à « résistance primaire » y ont fait leur nid, totalisant 7 % des infections invasives à Paris, là encore chez les immunodéprimés.

Plants de banane attaqués par la fusariose au Cameroun.

Plants de banane attaqués par la fusariose au Cameroun. T. LESCOT / CIRAD

Plus inquiétant peut-être, de nouvelles infections invasives touchent des patients dits immunocompétents. Aux Etats-Unis, la « fièvre de la vallée » ne cesse de progresser. Pour la seule Californie, les coccidioïdes cachés dans la terre, relâchés à la faveur de travaux d’aménagement ou agricoles, ont contaminé 7 466 personnes en 2017. Au CDC d’Atlanta, on ne dispose d’aucune statistique nationale mais on parle de « centaines » de morts.

Moins meurtrière mais terriblement handicapante, une nouvelle forme de sporotrichose touche des dizaines de milliers de Brésiliens. Partie de Rio, elle a conquis le sud du pays et gagne le nord, essentiellement transmise par les chats. « L’épidémie est hors de contrôle », assure Jacques Meis. Et que dire de ces ouvriers de Saint-Domingue qui nettoyaient une conduite d’usine remplie de guano de chauves-souris ? « Ils étaient 35, jeunes, aucun n’était immunodéprimé, raconte Tom Chiller, qui a publié le cas en 2017 dans Clinical Infectious Diseases. Trente sont tombés malades, 28 ont été hospitalisés. » Le diagnostic d’histoplasmose n’a pas tardé. Neuf ont été admis en soins intensifs. Trois sont morts.

Cette hécatombe mondiale n’a rien d’une fatalité, assurent les scientifiques. « La médecine moderne augmente les populations à risque, admet David Denning. Mais en améliorant le diagnostic et l’accès aux traitements, en développant la recherche, en réservant à la santé humaine les nouvelles molécules qui finiront par apparaître, on doit pouvoir réduire considérablement la mortalité des infections. »

Doux rêve, répond Antoine Adenis. « La mycologie reste le parent pauvre de la microbiologie », regrette-t-il. Ainsi, pour la première fois cette année, Laurence Millon n’aura pas d’interne dans son service de Besançon. Et David Denning, qui gère son Gaffi avec des bouts de ficelle, de soupirer :

« Quand un malade leucémique meurt d’une infection fongique, tout le monde parle du cancer à l’enterrement, personne des champignons. Et à qui pensez-vous que l’on fait les dons ? »
Nathaniel Herzberg

On a raison de se révolter

Pardon, à moitié pardon pour ce titre. Il a servi de masque à certains crétins du lointain mai 68. Et cette engeance-là, je l’exècre. Plus récemment, Alain Badiou l’a repris pour intituler un livre que je n’ai pas lu. Badiou, maoïste non repenti, n’est nullement un adversaire, c’est un ennemi. De la liberté humaine, de la morale, de la décence élémentaire. Bon, il va disparaître, et en peu de mois ou d’années, ne sera plus lu par personne. Je l’espère bien.

Restent ces paroles, qui n’appartiennent qu’à ceux qui s’en emparent. Et, oui, « on a raison de se révolter ». Et je vous invite et inviterai bientôt à le faire. Vous, je ne sais pas, mais moi, je ne supporte plus le gémissement. Nous pouvons agir, et nous allons le faire. Sur ce, cette dépêche de l’AFP qui me fait dire comme rarement qu’il faut y aller, relever la tête, monter au front et défendre la vie pour de vrai. POUR DE VRAI.

 

La vie marine sauvage est en train de disparaître

Sydney (AFP) – Il ne reste plus que 13% des océans de la planète pouvant être considérés comme sauvages, et ils pourraient disparaître complètement d’ici 50 ans, conséquence de l’augmentation du fret maritime, de la pollution et de la surpêche, selon une étude scientifique.

Une équipe internationale de chercheurs a analysé les impacts humains sur l’habitat marin, entre ruissellements et augmentation du transport maritime.

Les scientifiques emmenés par Kendall Jones, de l’Université du Queensland, ont établi une cartographie des zones sous-marines considérées comme intactes et les écosystèmes « pour l’essentiel libres de perturbations humaines ».

D’après leur étude publiée par le journal Current Biology, on trouve la plus grande partie des zones sauvages dans l’Antarctique et l’Arctique ainsi que près d’îles reculées du Pacifique. Les zones côtières proches d’activités humaines sont celles où la vie marine est la moins florissante.

« Les zones marines qui peuvent être considérées comme intactes sont de plus en plus rares à mesure que les flottes marchandes et de pêche étendent leur champ d’action à la quasi totalité des océans du monde et que les ruissellements de sédiments ensevelissent de nombreuses zones côtières », a déclaré M. Jones.

« L’amélioration des technologies du transport maritime signifie que les zones les plus reculées et sauvages pourraient être menacées à l’avenir, y compris les zones jadis recouvertes par la glace désormais accessibles à cause du changement climatique ».

Selon les chercheurs, seuls 5% des zones restées sauvages sont situés dans des régions protégées. Le restant est d’autant plus vulnérable.

Les chercheurs appellent au renforcement de la coopération internationale pour protéger les océans, lutter contre la surpêche, limiter les extractions minières sous-marines et réduire les ruissellements polluants.

« Les régions maritimes sauvages constituent un habitat vital à des niveaux sans égal, comprennent une abondance énorme d’espèces et de diversité génétique, ce qui leur donne de la résistance face aux menaces comme le changement climatique », a expliqué James Watson, de la Wildlife Conservation Society australienne.

« Nous savons que ces zones diminuent de façon catastrophique. Leur protection doit devenir l’objectif d’accords environnementaux multilatéraux. Faute de quoi, elles disparaîtront vraisemblablement d’ici 50 ans ».

En 2016, l’ONU a commencé à travailler sur un accord international qui régirait et protègerait la haute mer.

« Cet accord aurait le pouvoir de protéger de vastes espaces en haute mer et pourrait représenter notre meilleure chance de protéger la dernière vie marine sauvage », souligne M. Jones.

© AFP